La recherche concernant les impacts de la société et de la culture sur la génétique représente un inversement paradigmatique important et complémentaire aux recherches sur les impacts de la génétique sur la société. En considérant uniquement les impacts de la génétique sur la société, nous avons peu tenu compte des données de terrain. Par conséquent, nous risquons de demeurer dans l’ordre du spéculatif, de la prévision et des jugements de valeurs. Axée sur la dénonciation, cette attitude permet d’occulter les lacunes organisationnelles de la clinique, les manquements éthiques causés par les conditions de prestation des services, l’engagement mitigé de l’État et les motivations socioculturelles soutenant la génétique. Elle évacue aussi la réflexion sur les responsabilités, en conceptualisant un «Autre» mal intentionné (chercheur(e)s, médecins, entreprises, État) ou victime ignorante (patient(e)s, populations).
En deçà des comités d’éthique et des groupes de travail institués pour encadrer la génétique, il faut tenir compte du fait que les utilisateur(trice)s et les promoteur(trice)s des produits et services de la génétique médicale ne peuvent qu’être les moteurs de son développement. D’où l’importance de connaître les besoins et les expériences des patient(e)s, les conditions de prestation des services de génétique médicale, le développement de la recherche, ainsi que ses vecteurs de promotion. Dans ce contexte :
La recherche sur les impacts de la société et de la culture sur la génétique s’intéresse aux représentations, interactions et pratiques des chercheur(e)s, médecins, patient(e)s, associations de malades, entreprises, etc., directement impliqués dans le développement, la pratique et l’utilisation des services de génétique médicale.
La place des diagnostics prénatal (DPN) et préimplantatoire (DPI) dans la lutte contre les maladies infantiles : l’exemple de la neurofibromatose et de la fibrose kystique.
Résumé : Plusieurs maladies infantiles sont d’origines génétiques. À défaut d’approche curative, il est aussi possible d’opter pour les diagnostics prénatal (DPN) et préimplantatoire (DPI). Cependant, le DPN n’offre que 2 options : l’arrêt de grossesse ou la venue au monde d’un enfant gravement malade. Le DPI évite l’arrêt de grossesse, mais implique un protocole lourd, hasardeux et coûteux. D’un point de vue éthique, on ne peut parler de ces techniques comme de moyens de prévenir certaines maladies infantiles sans parler d’eugénisme.
Toutefois, nos travaux montrent que beaucoup de patient(e)s à risque de transmettre une maladie génétique ou chromosomique décident d’avoir recours au DPN s’ils y ont accès. En France, ceux qui optent pour le DPI pensent que c’est irresponsable et cruel de mettre au monde un enfant quand on sait qu’il va souffrir et mourir ou qu’il va être gravement malade ou handicapé. Ainsi, les parents ont de plus en plus tendance à adopter une attitude d’imputabilité face à leurs enfants qui pourraient être atteints.
Plusieurs questions se posent sur la place des DPN et DPI dans la lutte contre les maladies infantiles. D’abord, nous savons peu de choses sur les perceptions que les personnes atteintes de ces maladies se font de ces approches diagnostiques. Pourtant, sur la base de témoignages informels recueillis auprès de jeunes adultes atteints de la fibrose kystique et ou de la neurofibromatose, on peut voir qu’ils se posent plusieurs questions auxquelles la médecine ne peut répondre lorsque vient le temps d’avoir des enfants. Cette recherche veut trouver certaines réponses à ces questions et à aller plus loin dans la connaissance du rapport prénatal parents-enfants dans le contexte de la neurofibromatose et de la fibrose kystique.
Génétique de la reproduction et responsabilités : la part des patients.
Résumé : Utilisée en bioéthique pour réfléchir sur la génétique, la notion de responsabilité a été peu étudiée dans la perspective des patient(e)s et ce, même dans le contexte de la génétique reproductive. Pourtant, à partir du moment où nous voulons respecter le principe d’autonomie de la personne, ce sont les patient(e)s à risque de transmettre une maladie génétique ou une anomalie chromosomique qui prennent la plupart des responsabilités inhérentes aux diagnostics préconceptionnel, prénatal et préimplantatoire, au triple test, ou à l’interruption de grossesse. En plus de s’approprier les connaissances transmises lors du conseil génétique, d’évaluer les conséquences d’un avortement sélectif ou de la prise en charge d’un enfant malade, ces patient(e) sont soumis aux pressions de multiples responsabilités fort peu connues qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, seraient plus souvent induites par des impératifs culturels, sociaux, économiques, familiaux et individuels que par des déterminismes génétiques et biomédicaux.
Jusqu’à aujourd’hui, peu de connaissances ont été développées sur : 1- les types de responsabilités que prennent ces patient(e)s, 2- les représentations qu’ils se font de ces responsabilités, 3- les répercussions de ces dernières sur leurs processus décisionnels et 4- sur les facteurs socioculturels qui les provoquent. Dans la poursuite de mes travaux ethnographiques sur la société et la génétique, des résultats préliminaires indiquent que les responsabilités prises par les patient(e)s sont peu tributaires du conseil génétique et que ce dernier semble avoir peu d’impact sur les décisions reproductives. La génétique serait plutôt un outil de renforcement des idéaux socioculturels, qu’un véritable vecteur de changements sociaux.
Enfin, concentrer nos travaux sur l’idée que la génétique est dangereuse, apparaît comme une sorte d’animisme permettant d’éviter de s’attaquer aux facteurs socioculturels et économiques qui modèlent réellement le développement de la génétique. Par conséquent, afin que nos règles éthiques et nos politiques de santé ciblent les bons problèmes et que nos pratiques médicales soient réellement respectueuses et efficaces, il importe de connaître les responsabilités multiples qui reposent sur les patient(e)s qui consultent en génétique.
Prémisses à la réflexion bioéthique : l’étude des représentations du diagnostic préimplantatoire chez les chercheur(e)s, médecins et patient(e)s français.
Résumé : Dans le cadre d’une recherche multisite en anthropologie médicale¹, concernant les représentations du diagnostic préimplantatoire (DPI) chez les chercheur(e)s, médecins et patient(e)s français, menée en France dans les 3 centres de DPI accrédités: Strasbourg, Paris et Montpellier, il est apparut que les représentations de ce qui est éthique pour les couples qui optent pour cette technique sont différentes de celles qui ont cours dans les milieux de la bioéthique. Ce, plus particulièrement pour ce qui concerne les représentations de l’eugénisme, de l’enfant parfait, de l’embryon, des liens biologiques, de l’égoïsme et du narcissisme qui y sont associés, de l’abus des biotechnologies de la reproduction, de leur inefficacité thérapeutique et de la vulnérabilité des patient(e)s.
À travers les représentations des couples, nous verrons qu’au-delà de l’approche technomédicale, le diagnostic préimplantatoire peut être perçut comme un acte d'amour envers les conjoints et l’enfant à naître. Il apparaît aussi comme un rite expiatoire palliant l’incapacité biologique de donner à leur enfant un corps qui va lui permettre d’intégrer la vie humaine sans être atteint d’une maladie grave. De plus, le DPI devient un moyen d'assumer leurs responsabilités envers leurs enfants. Dans cet esprit, nous verrons comment le rituel du DPI offre la possibilité de démontrer le courage, l’amour, le désir de conformité et l’esprit de sacrifice de chacun des membres d’un couple et comment il leur confère un certain pouvoir.
En conclusion, nos données suggèrent que les patient(e)s du DPI sont en train de développer de nouvelles représentations de la reproduction et des conceptions éthiques qui intègrent d’une façon cohérente les niveaux individuels, familiaux, culturels, sociaux, moraux, technologiques et médicaux. Entre autres, ces représentations permettent de concevoir le DPI comme une pratique humaine qui offre aux couples conscients des risques que courent les enfants qu'ils peuvent avoir ensemble, le moyen de les protéger d'une combinaison invalidante d'événements biologiques connus d’avance. Dans ces conditions, il apparaît difficile d’élaborer des lignes directrices ou des lois bioéthiques pour encadrer la génétique de la reproduction, sans connaître et tenir compte du point de vue et de l’expérience des patients, même si leurs représentations de ce qui peut paraître éthique ou non, divergent de celles des experts qui président à l’élaboration des normes éthiques.
¹Nous présentons ici, les résultats préliminaires d’une étude concernant les représentations du diagnostic préimplantatoire chez des couples de patients français, basée sur 3 mois d’observation participante, d’entrevues et de données qualitatives, dans les 3 centres de DPI en France.
Impacts des services de génétique sur les représentations, les processus décisionnels et l’application des principes bioéthiques.
Résumé : Même s’il vise le respect de la personne et de son autonomie, le conseil génétique non directif, ne peut suffire à garantir une prestation éthique des services de génétique associés à la reproduction. Il ne peut non plus assurer une réelle autodétermination des patient(e)s. La notion de liberté de choix, même «éclairée» par les connaissances génétiques, faillit aussi à cette tâche, parce que nous faisons fi des contextes émotionnels, familiaux, sociaux, culturels et institutionnels dans lesquels nous voulons qu’elle s’exerce. Peu de travaux empiriques ont cherché à connaître les impacts des conditions de prestation des services de génétique sur les patient(e)s et sur leurs processus de prise de décision. Si la génétique médicale associée à la reproduction offre plus de bénéfices que de dommages, ce constat ne peut garantir l’application du principe de bienfaisance et de non malfaisance.
Par exemple, en ignorant les lacunes organisationnelles (sociales et biomédicales) dans la prestation des services de génétique, nous ajoutons aux drames et à la souffrance des patient(e)s, là où nous pourrions leur apporter soutien et réconfort. Jusqu’à aujourd’hui, si nos sociétés investissent beaucoup dans la recherche en génétique, elles démontrent peu de volonté politique d’améliorer les conditions de prestation des services de génétique et, par conséquent, d’amener les conditions éthiques au-delà de la limite de l’acceptable en clinique. De plus, malgré la place qu’occupe la conscience morale dans nos discours bioéthiques, elle peut difficilement s’appliquer dans un contexte où ni la société, ni les institutions, ni la famille ne peuvent nous offrir de choix réels. Il n’y a qu’à penser au peu d’aide accordé aux parents qui ont un enfant handicapé. Même si la médecine a changé notre approche demeure technicienne.
Génétique de la reproduction et émergence normative.
Résumé : Les connaissances générées par la recherche en génétique humaine permettent aujourd'hui de dissocier la génétique et la reproduction. Pourtant, depuis Mendel, ce tandem demeure le plus susceptible de provoquer de profondes transformations dans les représentations et dans les pratiques sociales et biomédicales. En interférant dans les processus biologiques de la reproduction, la génétique vient aussi modifier les systèmes normatifs culturels et sociaux qui l’encadrent. Ainsi, elle offre le pouvoir de transformer les normes qui régulent les pratiques biomédicales et sociales associées à la reproduction.
Dans une perspective ethnomédicale, cette recherche s’intéresse au phénomène d’émergence normative qui s’articule en génétique de la reproduction, à travers la rencontre clinique entre les chercheur(e)s, les médecins et les patient(e)s. C’est à partir de leurs discours, de leurs pratiques, de leurs interactions et des représentations qu’ils s’en font, qu’il est possible d’étudier les processus d’émergence normative en progression dans cet environnement spécifique. Ces travaux s’appuient aussi sur certaines approches développées dans le cadre de l’anthropologie du cyborgisme et des études sociologiques et culturelles des sciences et technologies. Ces différents emprunts théoriques permettent d’intégrer les technologies, la biomédecine, la société, la culture et le sujet humain dans des rapports d’interactions et de changements qui favorisent l’émergence de nouvelles normes.
Les principaux objectifs sont : 1) de reconnaître les facteurs et les circonstances qui favorisent certains mouvements normatifs, 2) d’identifier l’impact des sphères normatives sur les dynamiques d’émergence des nouvelles normes, 3) de comprendre l’ascendant des représentations sur l’élaboration des normes génétiques et sur les dynamiques de changements biomédicaux et sociaux et 4) d’explorer l’influence des phénomènes d’hybridation humain-biotechnologie sur l’émergence normative en génétique de la reproduction.
Fonds de recherche :
Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR)